© Docteur Roland NIEDERMANN 2024 - 2025
Dr Roland NIEDERMANN
L’urgence d’un contrat social pour la santé Quiconque évoque la santé humaine est confronté au droit à la santé. En tant que citoyen, payeur de primes maladie, d’impôts et médecin, je constate que la FMH (Fédération de médecins suisses) et des personnes, à titre individuel, s’y réfèrent, mais pas la majorité des intervenants du système de santé, notamment les assureurs, le gouvernement, le parlement. Le débat sur l’épidémie du tabac illustre la situation. L’appel de médecins «Pour que vos enfants ne deviennent pas nos patients»1 demande des mesures publiques efficaces en faveur de la santé contre les activités publiques, notamment publicitaires, de l’industrie du tabac. Ainsi ces médecins appliquent leur savoir et leur devoir: agir contre les causes des maladies, surtout si la cause est l’homme, à l’instar de l’industrie du tabac. Depuis Hippocrate, la médecine place la prévention avant les prestations et ne réduit pas le médecin à un prestataire de soins. Cet appel des médecins exprime leur respect de la donnée millénaire selon laquelle la santé n’est pas l’œuvre de l’homme et que les soins ne sont pas la santé. Cette hiérarchie place la santé originale avant les soins, le care. De cette hiérarchie innée naît le droit humain à la santé qui oblige la société à œuvrer pour un environnement compatible avec la santé. Et que fait notre système de santé ? «D’un côté, les maladies sont combattues, de l’autre côté il y a un intérêt économique à leur existence. Car les maladies et leurs traitements nourrissent ensemble un marché d’une croissance presque illimitée. Du point de vue économique, les maladies produisent de la prospérité. En dernier lieu, nous gagnons grâce à notre propre maladie…» (sic!) écrit le président de Promotion Santé Suisse. Il n’est pas le seul à formuler le concept du «malade lucratif»2 et sa logique marchande: davantage de maladies = davantage de prestations = davantage de croissance économique = davantage de prospérité. Cette prospérité vaut pour les prestataires et pour un système fondé sur des prestations, mais pas pour les malades, ni pour les payeurs de prime et jamais pour la science de la vie et la déontologie du médecin. Un géant du commerce de détail [Migros] possède des «centres de soins» [groupe Medbase], qui en font le plus grand prestataire dans la médecine de premier recours, fait de la publicité pour le tabac et vend des cigarettes [via ses filiales Denner et LeShop, entre autres]. La présence du «loup dans la bergerie» est légitimée par le Conseil fédéral. Il déclare que notre système de santé «permet effectivement à un acteur de l’industrie du tabac de posséder un établissement de soins». Au lieu de suivre l’appel cité et les impératifs du savoir et du devoir du médecin, le fleuron romand du «managed care» choisit une autre logique, il crée une union marchande avec le vendeur de mort tabagique [Philip Morris]. L’épidémie tabagique suisse provoque presque 10 000 morts par an. Elle fait partie de l’épidémie globale des maladies non transmissibles avec leurs 16 millions de morts prématurés. Aucune guerre n’a été aussi meurtrière. œuvres de l’homme, ces épidémies sont évitables. Elles exigent une autre réponse que des acteurs «santé» vendeurs de mort tabagique et le concept du «malade lucratif» qui sont la négation du droit humain à la santé, d’où la nécessité d’un contrat social santé. Au centre du contrat social en matière de santé se trouve le droit humain à la santé. Ce droit élémentaire n’est ni reconnu ni porté par l’économie du marché, ses partisans politiques et leur idéologie néolibérale. Tant que le système de santé est largement inféodé à cette trinité, il est pervers, incapable de remplir ses missions. Car le fondement de cette trinité est la loi économique de faire de l’argent et de tirer du profit de la condition humaine, de la maladie et de la mort. Sachant que face à la maladie et à la mort, nous sommes tous égaux, frères et sœurs, nous nous trouvons au même point que Jean-Jacques Rousseau par rapport aux esclaves, devenus lucratifs par le biais des lois esclavagistes. Face aux lois marchandes rendant la souffrance du prochain lucrative*, généraliser la ­déontologie médicale de la FMH est incontournable. La santé humaine du XIXe siècle exige que les intervenants, du médecin à l’assureur, du politique à l’aide-soignant, appliquent ce code. Le système de santé doit être dirigé par l’esprit du Serment de Genève et bâti sur le droit humain à la santé. Le courrier, 25 octobre 2016 La loi qui protège l’industrie du tabac contre le droit à la santé La Suisse peine à corriger son erreur du dernier siècle. Encore aujourd’hui, ses lois traitent les produits du tabac parmi les VIVRES. La Loi sur les produits du tabac (LPTab) était censée mettre fin à cette anomalie, mais elle reste sous les feux des critiques. 1 La Science. La Suisse libérale se réfère à la croyance (cf. la première phrase de sa Constitution). Sans consulter la médecine, elle avait mis les produits du tabac dans la Loi sur les denrées alimentaires. Or cette médecine, ayant pour mission de se référer à la santé humaine et non à la santé économique, a constater progressivement que les produits du tabac ne sont pas des vivres, mais des ANTI-VIVRES. Aujourd’hui, sa science fait le diagnostic de PANDÉMIE TABAGIQUE. À l’heure actuelle, le tabagisme entraîne chaque jour environ 25 décès en Suisse, ce qui en fait la première cause de mort prématurée dans le pays. L’industrie du tabac est l’œuvre de l’homme. Parce que les produits qui en découlent sont incompatibles avec la santé et la vie, les maladies non transmissibles qu’ils produisent chez les consommateurs ne sont pas naturelles, mais anthropogènes, ce qui oblige la médecine et l’humanité à œuvrer pour les éviter, à l’instar des guerres. Le droit à la santé est inscrit dans le Pacte ONU I, signé par la Suisse. Il tient compte du savoir médical et œuvre en faveur des victimes des épidémies. Ainsi le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a approuvé les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDUN). Selon ces Principes, les entreprises doivent éviter de causer ou de contribuer à des conséquences négatives sur les Droits de l’homme. Lorsque de tels effets se produisent, elles doivent cesser les activités en cause. Le tabac est nocif pour la santé humaine. Par conséquent, la production et la commercialisation du tabac sont inconciliables avec le droit humain à la santé. Les PDNU exigent donc l’arrêt de la production et de la commercialisation du tabac et de ses produits. Du plomb au tabac : En conduisant des voitures à essence, l’homme a disséminé dans la biosphère le plomb ajouté à l’essence. Le film « La pacifiste » brosse le portrait d’une scientifique bernoise qui, en 1917 (!), exigea l’interdiction de l’essence au plomb; or, 124 ans plus tard, l’ONU vient de se féliciter de l’abandon de ce carburant dans le dernier pays l’ayant encore utilisée, abandon fêté « comme une étape majeure pour la santé ». Chaque médecin connaît l’interdiction de l’amiante, de la thalidomide, etc., pour les raisons sanitaires évidentes, et l’initiative des glaciers revendique l’interdiction de l’utilisation des matières fossiles comme l’essence. Tôt ou tard, le tabac se trouvera dans cette liste croissante. Une loi pour protéger une industrie : L’OMS déclare 2 : « L’épidémie de tabagisme est l’une des plus graves menaces ayant jamais pesé sur la santé publique mondiale. Elle fait plus de 8 millions de morts chaque année dans le monde. » La présidente de l’OMS a dit en 2013 3 Les efforts pour prévenir les maladies non- transmissibles se heurtent aux intérêts d’agents économiques puissants », « il s’agit d’une opposition formidable, parce que peu de gouvernements font prévaloir la santé sur les intérêts économiques ». Avec la LPTab, la Suisse choisit son camp contre le savoir médical et contre le Droit humain à la santé. Elle protège une industrie moribonde, car mortelle. Et elle s’est fait prisonnière de sa propre contradiction : la LPTab protège son industrie des ANTI-VIVRES contre la lutte anti-tabac menée par un nombre croissant de pays appliquant la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte anti-tabac (CCLAT). Dr Roland Niedermann, médecine interne générale FMH, Genève 1 Éditorial « Innovations ? » BMS 2021;102(34):1075 2 www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tobacco 3 Communiqué de l’OMS 10.06.2013 Coordonnées dans BMS : « Une loi qui protège l’industrie du tabac contre le droit à la santé » Bulletin de médecine suisse, 20 octobre 2021 La Suisse, sa Constitution et le droit à la santé En lien avec le prochain passage aux urnes de l’initiative contre la publicité sur le tabac, Roland Niedermann, médecin, met en avant que la production et la commercialisation du tabac sont « inconciliables avec le droit humain à la santé ». En premier, le soussigné déclare défendre la médecine hippocratique et sa devise « Primum non nocere » (d’abord ne pas nuire) contre l’industrie du tabac et son commerce sans lesquels la Suisse ne devrait plus déplorer 9500 morts par an. La situation est nette : Qui conseillerait à une femme enceinte de fumer pour favoriser la santé de l’enfant à naître ? La science médicale déclare par conséquent : le tabagisme est incompatible avec la santé. Donc : l’industrie du tabac est incompatible avec la santé. La classification internationale des maladies reconnaît l’addiction à la nicotine comme maladie, indépendamment de l’existence des autres pathologies causées par la fumée. Par contre, pour l’économie, l’addict·e à la nicotine est le modèle du client fidèle à un produit, qui garantit à cette industrie des affaires lucratives et à l’Etat qui la protège des milliards de francs en faveur de l’AVS. A l’ère de l’anthropocène, l’addict·e à la nicotine symbolise le consommateur esclave. Or, ni la vie ni la santé ne respectent l’ordre des cigarettiers et de l’Etat : L’homme adulte produit par jour un million de spermatozoïdes. Il s’agit d’une petite fraction des 200 milliards de nouvelles cellules que les corps des deux sexes produisent quotidiennement jusqu’à la mort. Cette division cellulaire permanente conditionne la santé et la vie et n’obéit pas à l’état civil. Parler de majorité est un leurre, la biologie ne danse ni selon les lois suisses, ni selon le déni des malades. Mais la complexité et la quantité des processus biologiques rendent la santé fragile face aux produits « qui tuent ». L’industrie de la nicotine réalise ses chiffres d’affaires moyennant un produit dont l’utilisation « lege artis » (dans les règles de l’art) nuit à l’intégrité corporelle. L’absence de consommation saine de cigarettes fait que cette industrie, son commerce et l’Etat qui encaisse des taxes sur ces produits violent non seulement la Constitution fédérale, en premier l’art. 10, al. 2. Mais encore le droit la santé. Ce droit humain est inscrit dans le Pacte ONU I, signé par la Suisse. Il se base sur le savoir médical et vise à protéger par exemple les victimes des épidémies anthropogènes. Ainsi le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a approuvé des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU). Ces principes engagent les entreprises à éviter de causer ou de contribuer à des conséquences négatives sur les droits humains. Lorsque de tels effets se produisent, elles doivent cesser les activités en cause. « La fumée tue », par conséquent la production et la commercialisation du tabac sont inconciliables avec le droit humain à la santé et les PDNU exigent l’arrêt de la production et de la commercialisation du tabac et de ses produits. J’ai honte d’être médecin dans un Etat dont le ministre de la Santé et son office l’OFSP et ses nombreux médecins ainsi qu’un membre du gouvernement, docteur en médecine, spécialiste en santé publique et ancien vice-président de la FMH (Fédération des médecins suisses) protègent les affaires lucratives de l’industrie mortelle du tabac à la place de favoriser le droit humain à la santé. L’initiative « Enfants et jeunes sans publicité pour le tabac » met en débat la devise médicale Primum non nocere face à une activité économique nuisible à la santé. Le parallèle avec le débat climatique est évident : le bien-être, la santé et la vie des générations d’aujourd’hui et surtout futures n’est pas possible sans limiter la combustion des matières fossiles. L’avenir vivable a un prix : la restriction des affaires lucratives de l’industrie du pétrole et du charbon : la restriction du « Primum nocere ». Le Courrier, 28 janvier 2022 Le tabac et la sagesse populaire Le oui de la Suisse est net. Oui à la protection des enfants et des jeunes contre une publicité qui vise à les transformer en consommateurs d’un produit scientifiquement reconnu comme nuisible à la santé et addictif, c’est-à-dire les rendant dépendants à la nicotine. L’acceptation d’une initiative est rare en Suisse, l’acceptation de deux en moins d’un an est exceptionnelle. Est-ce que la pandémie a aiguisé la sensibilité de la population en matière de santé ? En automne, le peuple a plébiscité l’initiative des soins, maintenant il a accepté celle de la prévention selon le proverbe mieux vaut prévenir que guérir. Sous cet angle, personne ne peut rester indifférent aux argumentaires utilisés par les pros et les antis restriction publicitaire du tabac. Les adversaires mettaient en avant le bien-être économique et la liberté d’une industrie et d’un commerce qui font des affaires lucratives avec un produit qui «tue». Les partisans se souciaient du développement sain de la future population et de la santé publique. Car personne ne peut balayer ni le savoir de l’incompatibilité entre santé et tabac ni le fait que tout addict au tabac est un client précieux de cette industrie. Plus il est jeune, plus intense et longue sera sa carrière de dépendant. La Suisse cultive un pourcentage de fumeurs parmi les plus élevés en Europe. Par contre, en adoptant une vraie politique de prévention, des pays comparables ont réussi à diminuer ce que la médecine qualifie d’épidémie anthropogène. Hélas, ce oui remarquable ne corrige pas la loi sur les produits du tabac, qui empêche la Suisse de ratifier la Convention-cadre antitabac de l’ONU. Le parlement et le gouvernement portent la responsabilité d’une nation qui se classe parmi les dernières protabac au monde et qui préfère les affaires lucratives des multinationales du tabac, qu’elle n’a pas honte d’héberger, à la sagesse populaire et au savoir médical. La Tribune de Genève, 18 février 2022 RETOUR
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